Voilà, ma petite maman, mon premier mail mahorais.
Et en bas débit, je vous prie... La préhistoire de l'Internet !
Mon île ne ressemble que de loin à ce que j'imaginais. D'ailleurs, il est impossible de se représenter Mayotte sans y venir.
La misère y est plus noire que ce que l'on raconte, les paysages plus grandioses que les cartes postales, la nature plus impressionnante que ne le disent les reportages.
Mayotte reste une colonie administrative : derrière leurs bureaux respectifs, les noirs (ici, on a le droit de dire « noir » sans aller en prison...) sont hésitants (« Demain peut-être, ou peut-être pas, je ne sais pas... »), et les blancs sont imbuvables. Pour une même question, 15 réponses différentes, jusqu'à ce qu'un M'zoungou (blanc) vaniteux te toise de son regard épuisé et s'insurge : « Mais, vous n'écoutez donc pas ce qu'on vous dit ! »
Les plus belles routes ne sont que de simples départementales sinueuses, aucune ligne droite ne dépasse 500m, la plupart ne sont que des pistes.
À Kahani où nous avons débarqués, chez Hélios, l'ami de Pierre, une fine couche de poussière rouge recouvre tout dans la maison sans que l'on ne puisse rien y faire, à part balayer 5 fois par jour. En raison de la chaleur, aucune fenêtre ne ferme vraiment (mais de lourds barreaux protègent illusoirement tes bien de la pauvreté locale), et la poussière entre de partout.
Ici, à Sada, moins de poussière, moins de misère. Ma maison est magnifique, et la vue sur le lagon, à marée haute, ouvre l'horizon. Il n'y a pratiquement pas d'eau chaude, le ballon est trop petit, mais en a-t-on vraiment besoin ? Pour la lessive et la vaisselle seulement, mais quand nous aurons reçu nos meubles (le 13, peut-être, ou peut-être pas...), la vie sera déjà plus facile.
À Mayotte, la vie est vraiment très chère. Le double au moins de tous nos prix discount préférés, sauf les cigarettes. Quant aux boutiques, une petite enseigne SFR souvent t'indique que, derrière le pas de porte, il y a quelque chose à vendre, parfois un simple bidon d'essence ! Ou quelques cigarettes au détail. Il n'y a guère qu'à Mamoudzou ou la ville ressemble à ce que l'on connaît. Mais il y a au moins 45 minutes de bouchon avant d'atteindre le moindre parking ! Sauf le dimanche, mais pourquoi se rendre à Mamoudzou quand tout les commerces sont fermés, à moins de vouloir barger ou partir en excursion ?
Le matin, les aboiements des chiens errants te réveillent, juste avant le premier appel à la prière de 5 heure. Ce sont ces chants langoureux qui remplacent nos clochers, d'ailleurs.
Et pourtant, malgré tout ce que je viens de te dépeindre si négativement, tout ce qui fait que les jeunes enfants gâtés de métropole ne peuvent vivre à Mayotte où l’avenir est un combat (Marie et Nico seront bientôt de retour, enrichis au moins, d'une grande modestie), pourtant, ma petite maman, j'aime Mayotte. Et de le dire simplement, les larmes me monte aux yeux car ma sensibilité ici, si loin de papa et toi, si près de l'humanité qui me ressemble, est toujours à fleur de peau.
J'ai pleuré en voyant, à la tombée du jour, mes premières roussettes (grosses chauves-souris insectivores et inoffensives) alors que j'étais restée enfermée toute la journée chez Hélios le premier jour. J'ai pleuré en caressant mes premières tortues géantes à Kani Kéli, en bordure de la célèbre plage de N'Gouja. J'ai pleuré surtout en admirant mes premiers dauphins qui dansaient autour de la frêle embarcation d'où nous observions un baleineau qui chahutait en attendant sa mère en surface de l’Océan Indien.
J'aime Mayotte où rire aux éclats ne fait pas de toi un abruti ridicule. J'aime Mayotte où les gens sont ce qu'ils sont, tout simplement. J'aime Mayotte, où être blanc ne relève pas du handicape.
J'aime Mayotte où tout reste à faire pour offrir à ce tout nouveau département français ce pourquoi les gens se sont battus : une administration efficace, où les responsables blancs mettraient véritablement leurs compétences au service d'une population avide de réelles responsabilités ; un service de l'urbanisme qui offrirait de simples containers pour éviter que les sacs poubelles ne soient éventrés sur les trottoirs par les chiens ; des écoles plus nombreuses où les enfants apprendraient à respecter leur île et ses trésors.
J'aime Mayotte, parce que j'y ai trouvé ma place.
Voilà, ma petite maman, mon premier mail mahorais...
Je t'aime et je pense à toi souvent. Aimerais-tu chiner dans les ruelles de Sada ? Laisserais-tu les petits lézards verts s'endormir sur ta cuisse comme au bord de la piscine de Marseillans plage ?
Tu n'aimerais sûrement pas les femmes mahoraises qui sont plus fortes et plus malignes que toi... Tu serais sans doute indifférente à ce caméléon qui occupe les murs de notre maison depuis notre arrivée et nous débarrasse de quelques moustiques et papillons. Que penserais-tu de ce dangereux scolopendre de 15 cm que nous avons tué sous la petite varangue ?
Et si tu venais voir par toi-même ?
Je te serre fort dans mes bras,
Ta fille préférée...
Comme j'aimerais pouvoir encore te raconter ma vie, ma petite maman. Comme je suis heureuse de l'avoir fait.
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